Fight Night

Projet réalisé lors d'une résidence dans le cadre de l'Observatoire des pratiques de création de l'image numérique (Obs/IN) à Arles.
Collodions humides, caisses américaines.

La série intitulée Fight Night imaginée par Laure Ledoux durant sa résidence à Arles en 2013, est un ensemble d'ambrotypes présentés dans des caisses en acier faites à la main. Le bruit sourd des poings s'écrasant contre un visage déformé par l'impact, les giclées de sueur qui volent à travers le ring, les hurlements d'une foule électrisée par le combat... le jeu du même nom s'impose apparemment comme une référence du fighting simulator. Laure s'est attachée à relever ces visages dans l'effort, par l'isolement d'instants de lui qu'elle a ensuite re photographié et dont l'empreinte est aujourd'hui matérialisée par l'ambrotype. Il y a une certaine tension, un décalage entre le procédé ancien, la noblesse d'une technique si justement maîtrisée, et l'univers du jeu vidéo qui est donné à explorer. Pourtant, le spectateur s'extrait rapidement du contexte, se plonge tout à fait dans la confrontation avec une physionomie étrange, une peau noire, un regard et parfois même l'abîme béante d'orbites plongés dans l'ombre. Documents d'archives, images trouvées, portraits avatars d'icônes enfouies : l'aspect suranné des images brouille les pistes, instaure un mystère à la limite du malaise.

Dans la nuit de l'invisible, son sujet précédent, réalisé en collaboration avec de jeunes kick boxers, met en scène les visages des sportifs à la fin de leur effort, décrit et sublime cet état de transe. On est en prise directe avec la majesté de ces jeunes corps agiles, qui renvoient par leur seule présence la sensation d'abandon, de perte de contrôle.

Avec élégance, Laure Ledoux navigue d'un univers à l'autre, manipulant subtilement les codes de la photographie, tantôt numérique au service du réel, tantôt argentique au service du virtuel, dans le but de rendre hommage à ces traits obsédants. Il y a un paradoxe à soulever dans l'intention de la portraitiste, rattachée au genre altruiste par excellence, mobilisant toutefois son art pour extraire de la matière vivante ses connexions les plus ambiguës avec la mort. Sans aucun doute une démarche singulière, pertinente façon de faire perdurer les fonctions essentielles du genre, de conférer aux visages enregistrés leur naturelle survivance.

Texte d'Hélène Canaud